L’Exposition Universelle de Milan « Nourrir la Planète » : un rendez-vous manqué pour l’avenir du monde - Christian Regouby

L’Exposition Universelle de Milan « Nourrir la Planète » : un rendez-vous manqué pour l’avenir du monde

Christian Regouby

30 octobre 2015

A l’heure où les portes de l’Exposition Universelle de Milan s’apprêtent à se refermer à la fin de ce mois d’octobre 2015 ce qui frappe en premier lieu c’est que le thème « Nourrir la planète » n’a pas été traité.
L’Exposition Universelle a présenté une juxtaposition de pavillons qui ont avant tout cherché à rivaliser en créativité architecturale si ce n’est, pour certains, en démonstration de puissance. On a assisté à une grande foire de l’agro-alimentaire mondial. Une sorte de parc d’attraction pour touristes du monde entier.

L’organisation s’est manifestement concentrée sur la réalisation du site, sur la mise en valeur de la participation des pays et des sponsors. L’accent a été mis sur le tourisme plutôt que sur les agriculteurs ou sur les problématiques planétaires liées à la thématique de l’exposition.

Après avoir visité la plupart des pavillons, le concept de l’Expo s’est révélé concrètement creux. Au lieu de valoriser les innovations écologiques ou de défendre de justes combats alimentaires, la plupart des pays n’ont eu de cesse que de vanter leur tourisme gastronomique et de mettre en valeur leur folklore alimentaire.

Un pavillon a cependant fait exception à la règle. Celui de l’association Slow Food. Né dans les années 80 en résistance au développement des fast food, Slow Food est devenu en quelques années un influent mouvement de défense d’une agriculture écologique et équitable. Son pavillon est remarquable de synthèse et de pédagogie illustrée et accessible au plus grand nombre pour traiter de la problématique.

Il offre une véritable réflexion alternative sur la nourriture et l’alimentation. Concept fort, c’est le seul endroit de l’Exposition qui présente une démarche de fond concrète sur les limites du modèle industriel alimentaire actuel.

C’est dans ce cadre qu’aurait dû s’illustrer l’effort consenti par la plupart des pays du monde – à l’exception de l’Inde, grande absente – en faveur d’un seul et même thème choisi par les organisateurs italiens : « Nourrir la planète-Energie pour la vie ». Noble programme s’il en est, mais qui n’a accouché, à de rares exceptions près, que d’une indigeste surenchère de constructions architecturales. Dans le fond, rien ne permet de distinguer, comme nous l’avons dit, une grande foire commerciale de cette Exposition Universelle, sinon les moyens dont disposent ses exposants. Pour les nations présentes, l’occasion est trop belle et trop rare de pouvoir mesurer leurs attraits respectifs.

 

Le poids et la nature de la présence des différents pays du globe


Si la plupart des participants ne se sont manifestement pas souciés de traiter le thème “Nourrir la planète”, certains ont néanmoins fait des efforts particuliers (Israël, France, Chili… pour n’en citer que quelques-uns).

Le pavillon israélien, par exemple, s’est dédié aux cultures et aux champs du futur («Fields of Tomorrow»). On pouvait admirer le «Vertical Field», cette prouesse technologique pour faire pousser des légumes à la verticale et dans le désert de manière écologique. Quant aux «Vertical Farms», très présentes sur l’exposition, avec leurs salades et leurs choux qui grossissent en hauteur, elles offrent des alternatives intéressantes pour économiser l’eau.

Les Américains ont proposé pour leur part une mise en perspective d’un mouvement plus global : celui des «Food Trucks». Le concept se répand partout et il méritait bien une présence articulée sur l’Expo.

De même, le débat sur le quinoa a bien été porté par plusieurs pays d’Amérique latine, même si on aurait aimé y entendre les voix dissidentes entre une culture du quinoa de «gauche» (à la bolivienne, plus étatique, coopérative et bio diversifiée) et une culture du quinoa de «droite» (à la péruvienne, plus «corporate» et de masse).

Le Pavillon de la France s’est efforcé, dans une moindre mesure, mais avec une vidéo de grande qualité, de poser également clairement les différents aspects du processus de production délétère vers lequel nous entraine le système industriel alimentaire actuel. On a aimé l’allée de plantes, d’arbustes et de légumes à l’entrée, qui symbolise toutes les cultures alimentaires de France. On a également apprécié le bâtiment «territoire» et son architecture en «paysage inversé» de 3.600 m².

Certains pavillons étaient superbes –l’Estonie, la Russie, la Chine, l’Équateur, la Corée du Sud (avec sa musique KPop) – mais on était trop souvent dans la caricature et la promotion diplomatique. Quelle tristesse que ce pavillon espagnol qui n’était que compétition interne où chaque région défend sa culture alimentaire localiste. Et quel malaise quand dans le pavillon belge on vous vendait (et pour cinq euros le petit cornet) des frites mayonnaise !

Un autre élément significatif de l’expo de Milan fût la forte visibilité des pays du Golfe, Qatar, Oman, Émirats arabes unis, Koweït en tête, et jusqu’au pays asiatique riche en gaz, le Turkménistan. Sans compter le pavillon de l’Iran, où on était accueilli par des femmes aux cheveux libérés qui dansent sur une musique endiablée (ce qui est audacieux pour un pays où la musique est interdite et les femmes systématiquement voilées). À en juger par la largeur de leurs pavillons, ces autres pays émergents ont voulu faire entendre leur voix à Milan. Au lieu de se limiter aux grands pays développés et aux émergents officiels des soi-disant BRIC –même élargis aux BRIICS si on y ajoute l’Indonésie et l’Afrique du Sud– peut-être faut-il penser à mettre autour de la table, à jeu et parole égaux, un nombre bien plus important de pays pour donner à ce type de conférence sa véritable dimension internationale.

Pourquoi la compagnie aérienne Alitalia a –t-elle présenté le cockpit de ses avions plutôt que de s’intéresser à ses plateaux repas –une industrie alimentaire de masse– qui auraient pu offrir une extraordinaire mise en abyme de l’alimentation dans les airs ? Pourquoi le supermarché du futur, dont on espérait beaucoup, s’est révélé un simple… supermarché, agrémenté de quelques lecteurs optiques de calories?

De même, l’idée intéressante des «clusters», un regroupement de pays par thèmes, afin de donner une voix aux États ne pouvant s’offrir un pavillon tout entier, a fait long feu. Regroupés autour de la thématique des épices, du café, du chocolat ou du riz, ces «clusters» étaient très décevants. Au mieux, on y découvrait l’artisanat du pays (dans le pavillon tunisien, on avait droit également aux brochures touristiques, aux chameaux souvenirs en plastique et à une musique lounge arabe déprimante). Au pire, on avait l’impression d’être dans des magasins duty free d’aéroport où chacun vient vendre ses bibelots,…inévitablement fabriqués en Chine.

Comme nous l’avons dit plus haut le pavillon Slow food, s’est démarqué de tous les autres. Il est le seul qui semble avoir été conçu pour poser le thème de l’exposition et pour en débattre. On peut discuter sur les propositions mais au moins étaient-elles sur la table, ouvertes au dialogue : privilégier les produits alimentaires qui se cultivent ou se préparent en économisant l’eau; la «seasonality», qui doit inciter à manger les fruits au moment de leur saison de production; la connaissance des mois où les poissons peuvent être pêchés et donc achetés; le régime méditerranéen et ses vertus diététiques et environnementales; le rejet des plats tout préparés; la dérive de la culture du soja et du maïs transgéniques (et en creux une critique contre le géant Monsanto); la surconsommation de viande et ses conséquences sur les émissions de gaz, etc. Sans verser dans l’écologie bobo, on apprend beaucoup en visitant ce pavillon de bois splendide (déjà prêt à un recyclage intégral), en visionnant les films qui y sont projetés et en consultant quelques ouvrages disponibles sur ce passionnant mouvement de la «slow food».

 

Juxtaposition de pays et de marques mondiales aux logiques plus marketing que sociétales


Les pavillons des grandes marques multinationales de l’alimentaire ont rivalisé avec ceux des pays quand ils n’affichaient pas ouvertement leur domination. (Mac Do, Coca Cola, le groupe Ferrero avec ses marques Nutella, Kinder, le groupe Nestlé avec San Pellegrino,…).

Elles n’étaient pas seulement présentes en tant que sponsors, mais elles l’étaient aussi en acteurs au même plan que les Etats. Cela a induit un brouillage des perceptions et des représentations pour le grand public, pris en otage sous les déclarations de bons sentiments et l’habile récupération de thèmes porteurs. Le tout présenté à travers une machine marketing d’une redoutable efficacité.

Les initiateurs de l’exposition s'étaient fixés un objectif d'une rare ambition: s'interroger sur un thème crucial ; nourrir la planète à l'avenir. Dans cette perspective, la présence du pavillon de McDonald's, installé juste en face de celui de Slow food ressemblait à un retentissant but contre son camp. Elle signifiait que nous pourrons continuer à nous gaver de malbouffe.

A titre d’exemples :

- La Côte d’ivoire affichait un slogan volontariste « la Côte d’Ivoire, un projet mondial pour nourrir la planète ». Nous repartirons sans que personne n’ait été en mesure de nous expliquer, malgré nos demandes insistantes, en quoi consistait ce projet, si ce n’est à continuer de produire du cacao. Un stand Nutella, installé devant ce pavillon, distribuant et vendant ses produits en était sans doute la meilleure explication…

- La Suisse s’est présentée à travers trois cités, installées sous le Pavillon Suisse – lequel était au demeurant sponsorisé par Nestlé – La partie bâloise bénéficiait également du soutien de Syngenta, leader en matière de pesticides et de céréales produites par organismes génétiquement modifiés (OGM).

 

Les grandes problématiques mondiales pour « Nourrir la planète » étaient absentes de l’Exposition


Aucune approche ni concertation transversale n’apparaissait dans cette Exposition Universelle. Aucune visibilité globale ne nous était donnée des grandes problématiques et des approches de solutions que sous-tend le thème « Nourrir la planète » (système alimentaire mondial dépendant du pétrole, problème de l’eau, pesticides, usure vertigineuse des sols, problème de la biodiversité, etc… ).

Le pavillon US nous a accueilli avec la vidéo du Président Obama, séduisant dans sa fermeté et sa détermination. Mais derrière lui, un slogan résumait tout : « Global leadership to local impact ». Clair ! (rien bien sûr, sur la réduction CO2, les pesticides et l’agro alimentaire, les accords Tafta, les poulets javellisés, l’explosion mondiale des taux d ’obésité ….)

Deux grandes contradictions, qui impliquent la conscience de tous, ne sont apparues à aucun moment : d’une part, des milliers d’Africains meurent en Méditerranée en quête d’un droit à la dignité, à la nourriture, fuyant la guerre et la malnutrition. D’autre part, des élevages, des implantations agricoles artisanales qui disparaissent en Italie et en Europe parce que le traité de libre-échange intercontinental permet à des produits non européens d’entrer sur le marché sans règles et de détruire le travail de nos communautés agricoles. C’est un aspect, sans doute trop sensible sur le plan politique, qui n’a jamais été explicitement évoqué dans cette exposition. Ce qui n’a pas non plus été abordé dans toute l’Exposition c’est qu’il y ait encore 6 millions de personnes qui meurent de faim dans le monde chaque année et 850 millions de malnutris. Cela concerne tout l’Occident. Et cela devrait a minima être à l’ordre du jour d’une Exposition dont le thème est « Nourrir la planète » !

Le tourisme a primé sur le fond. Mais, en empêchant les vrais débats avec des centaines d’ONG non officielles et des milliers de militants alternatifs, qui auraient pu y trouver un porte-voix, l’expo universelle s’est coupée de sa base et de son public. Elle a perdu sa faculté d’innovation, sa prise de risque, ses marges, son sang neuf.

Si l’Expo Universelle de Milan, est, comme certains l’ont déjà dit, une répétition générale de la COP21 de Paris, nous avons beaucoup de souci à nous faire sur l’impact de ce prochain événement fin novembre 2015 dont les réflexions et actions sont pourtant cruciales pour l’avenir du monde.

À Paris, la COP21 pourrait miser sur le durable plutôt que sur l’éphémère. Les erreurs de Milan pourraient donc se révéler une chance pour Paris. Du moins si la COP21 réussit à ouvrir un débat démocratique engagé sereinement avec la société civile, afin de mettre concrètement à l’agenda politique mondial la question du futur de la planète.

 

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